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L’action diplomatique des Temps modernes : à propos de quelques livres récents

Lucien Bély

Université Paris-Sorbonne Paris IV

(Revue d'histoire diplomatique 3 (2009), p. 279-285)

Parmi les études consacrées en partie à des diplomates des Temps modernes, notons celle de Cédric Michon, La Crosse et le sceptre. Les prélats d’État sous François Ier et Henri VIII, Paris, Tallandier, 2008, 383 p. L’auteur suit le parcours d’hommes qui mènent une carrière aussi bien dans l’Église que dans l’État, que certains servent en particulier dans le cadre de négociations internationales. Dans ce livre qui essaie de démêler l’influence politique de ces prélats, apparaissent de nombreuses figures d’ambassadeurs importants.

Les historiens, souvent attentifs aujourd’hui aux souverains et à la société des princes, s’intéressent aussi aux reines. Sylvène Édouard intitule Le Corps d’une reine, son Histoire singulière d’Élisabeth de Valois, 1546-1568, publiée aux Presses universitaires de Rennes en 2009, 277 p. La fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, épouse de Philippe II d’Espagne, a inspiré Schiller et Verdi. Son mariage symbolise et accompagne la paix de 1559 et fait d’elle une « reine de la Paix », Isabel de la Paz, et en cela, elle intéresse l’histoire diplomatique. Lors de son grand voyage à travers la France, Charles IX et sa mère rencontrent la reine d’Espagne à Bayonne en 1565. Ces retrouvailles sont rares, une reine devant oublier le chemin de sa terre natale. Les fêtes étourdissantes, qui marquent cette entrevue, veulent donner l’impression d’une concorde entre les deux royaumes, mais la reine d’Espagne tente surtout de pousser sa mère à châtier les protestants de France, qui ne voient donc pas d’un bon œil cette rencontre.

Une autre reine a fait l’objet d’une ample biographie : Marie de Médicis. La reine dévoilée par Jean-François Dubost, Paris, Payot, 2009, 1039 p. Devenue régente à la mort d’Henri IV, la reine Marie veut aussi restaurer le dialogue avec les Habsbourg et J.-F. Dubost consacre ainsi un chapitre à cette diplomatie de paix, parenthèse dans la lutte entre la France et la maison d’Autriche.

Dans son dernier ouvrage, Mazarin’s Quest : The Congress of Westphalia and the Coming of the Fronde, publié par Harvard University Press en 2008, 307 p., Paul Sonnino décrit en détail l’engrenage des négociations en Europe autour du congrès réuni à Münster et à Osnabrück et il cherche ainsi à éclairer l’action et la réflexion de Mazarin. Trop souvent, ce cardinal romain, négociateur exceptionnel, n’est considéré que dans une perspective strictement française, alors qu’il a été choisi par Louis XIII et par Anne d’Autriche pour conduire la négociation qui doit mettre fin à la grande guerre que nous appelons guerre de Trente ans. La méthode de Paul Sonnino consiste à revenir aux sources, qu’elles soient publiées ou inédites, rassemblées dans les différents pays, afin de les comparer et d’offrir une vue générale de la situation européenne à chaque étape de l’évolution historique. P. Sonnino réalise ainsi une approche brillante et convaincante d’une période clef de l’histoire européenne : ce livre s’impose donc comme un ouvrage majeur sur la diplomatie, aussi bien que sur les relations internationales. Paul Sonnino veut également montrer comment l’action politique du Premier ministre se révèle décevante pour les élites françaises, puisque Mazarin n’obtient pas la paix générale en 1648, c’est-à-dire la fin des hostilités avec l’Espagne, tant désirée par tous les Français. Cet échec est une cause importante de la crise politique et sociale appelée Fronde.

Sur Mazarin, signalons aussi le bel article de Géraud Poumarède, « Mazarin, marieur de l’Europe. Stratégies familiales, enjeux dynastiques et géopolitique au milieu du XVIIe siècle », XVIIe siècle, 243, 61e année, 2/2009, p. 201-218. Stefano Andretta a rassemblé plusieurs études sur la diplomatie italienne à l’époque moderne, sous le titre suggestif de L’arte della prudenza, Biblink, Rome, 2006, 271 p. Mazarin se trouve naturellement au centre de l’ouvrage très bien conduit et documenté de Daniel Séré, La Paix des Pyrénées. Vingt-quatre ans de négociations entre la France et l’Espagne (1635-1559), Paris, Champion, 2007, 606 p. Cet ouvrage présente une étude très cohérente et rigoureuse des négociations qui aboutissent enfin en 1659. Daniel Séré apporte des vues très nouvelles, dont certaines ont déjà été présentées dans la Revue d’histoire diplomatique. Il montre que le roi Philippe IV impose la paix à son Premier ministre, Luis de Haro, qui ne veut pas conclure trop vite. Il affirme aussi que Mazarin envisage bien le mariage de Louis XIV avec une princesse savoyarde et que le roi d’Espagne arrête cette entreprise en proposant sa propre fille. D. Séré révèle aussi qu’un premier traité, signé le 4 juin 1659, fixe déjà les principales concessions, avant la rencontre sur l’île des Faisans, et que le traité signé le 7 novembre 1659 ne règle pas tout, en particulier laisse des incertitudes à propos de la frontière des Pyrénées. Une nouvelle rencontre entre les deux Premiers ministres en mai 1660 vient à bout des difficultés, permettant ainsi le mariage royal.

Òscar Jané Checa a étudié l’impact de la guerre et du règlement de paix de 1659 sur la Catalogne, et en particulier sur le comté de Roussillon, qui devient français, dans son ouvrage, Catalunya i França. Identitats, contraidentitats i ideologies à l’època moderna (1640-1700). Barcelone, Afers, 2006, 459 p. Ces analyses, qui relativisent l’importance de la frontière politique, ont inspiré une rencontre, dont les textes ont fourni un numéro spécial de la revue Manuscrits. Revista d’Història Moderna, 2008, 26, intitulé « L’(a)frontera. Històri, Pensament i Paisatge ». Cette paix des Pyrénées donne de nouveaux arguments à la diplomatie française pour réclamer des lambeaux de l’empire espagnol d’Europe. La mauvaise santé de Charles II, le beau-frère de Louis XIV, rend la situation plus délicate encore. La question de la succession d’Espagne devient une préoccupation commune des Cours européennes dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Même si Anne d’Autriche et Marie-Thérèse ont renoncé à leurs droits à la couronne d’Espagne, un pays affaibli et inquiet ne peut guère résister face aux injonctions et aux menaces d’un puissant voisin. Le problème de la succession d’Espagne dépasse le cadre espagnol, car la plupart des solutions supposent une remise en cause de l’ordre européen et cela effraie toutes les capitales.

Dans son beau livre, Luis XIV rey de España. De los imperios plurinacionales a los estados unitarios (1665-1714), Madrid, Iustel, 2008, 491 p., José Manuel de Bernardo Ares s’empare de cette question capitale pour l’éclairer de tous les angles possibles. Il montre que l’Espagne n’a pas subi ce destin sans combattre, sans réagir : la grande noblesse et tout l’État cherchent des solutions politiques, tout en proposant en même temps de profondes réformes à la société. La succession d’Espagne ne fascine pas que les Espagnols : l’Europe toute entière y porte de l’intérêt. Nous retrouvons l’appétit féroce des États européens qui comptent bien obtenir des satisfactions à l’occasion d’une redistribution géopolitique. Finalement, pour la France, la réalité dépasse toutes les espérances que Louis XIV a pu formuler. Un prince de sa maison obtient les couronnes rassemblées autour de l’Espagne et règne sur une bonne partie de l’Europe et du monde. Bien sûr, les Pyrénées existent encore, mais chacun se persuade que le jeune roi montrera beaucoup de docilité et de déférence à l’égard d’un grand-père dont l’expérience paraît incomparable et l’autorité incontestable. Cet avènement donne à la France un partenaire et un allié. En réalité, il suscite bientôt une réaction d’une grande partie des souverains européens qui s’allient et entrent en guerre contre les deux Bourbons. La somme de ces deux puissances s’avère alors, une fois de plus, une grande faiblesse.

Le petit-fils de Louis XIV a bénéficié près de lui des conseils d’un homme, Jean Orry, qui s’efforce de réformer les finances espagnoles pour financer cette guerre interminable. Guillaume Hanotin consacre une étude à Jean Orry. Un homme des finances royales entre France et Espagne (1701-1705), ouvrage publié par l’Université de Cordoue en 2009, 247 p. Formé dans le monde des financiers qui soutiennent l’État en France, Orry applique leurs méthodes en Espagne.

L’Espagne voit les ennemis des Bourbons occuper une bonne partie de ses possessions européennes. La Catalogne accueille le compétiteur de Philippe V, l’archiduc Charles, Charles III, qui tente de contrôler l’ensemble de la monarchie. C’est dire si ces événements retentissent encore dans la conscience des Catalans. Un colloque a été consacré à ce soulèvement de 1705 contre le souverain d’origine française, dont les actes ont été publiés sous le titre de L’Aposta catalana [pari catalan] a la guerra de successió, Barcelone, 2007, 518 p. N’oublions pas que Philippe V, en récupérant les territoires de la péninsule, met fin à leurs fueros, leurs droits historiques, et à leur autonomie. La chute de Barcelone, le 11 septembre 1714, date dramatique, est devenue fête nationale en Catalogne.

En tout cas, le résultat de cette guerre est bien le passage d’une couronne d’Espagne à vocation universelle à une Espagne péninsulaire qui cherche à conserver son empire américain et qui évolue vers un État comme les autres, avec une identité plus nette et un territoire moins éclaté. Son emprise géographique se déplace quelque peu, moins méditerranéenne et plus atlantique. Les épreuves de cette guerre interminable conduisent donc le roi d’Espagne à se résigner à un partage de l’empire espagnol, imposé par les conquêtes des alliés. Il ne se résigne pas facilement à perdre tout son empire européen, même s’il doit encore céder la Sicile. Cette « perte de l’Europe » a donné lieu à un colloque organisé à Madrid, dont les actes ont été publiés par Antonio Álvarez-Ossorio, Bernardo J. García García et Virginia León, sous le titre La pérdida de Europa. La Guerra de Sucesión por la Monarquía de España, Madrid, Fundación Carlos de Amberes et Sociedad Estatal de Conmemoraciones Culturales, 2007, 917 p.

L’idée d’empire continue aussi à intéresser les historiens. Celui du Portugal a fait l’objet d’une rencontre scientifique dont les actes sont publiés par Francisco Bethencourt et Luiz-Felipe de Alencastro : L’Empire portugais face aux autres Empires, XVIe-XIXe siècle, Paris, Maisonneuve et Larose, 2007, 313 p.

Une grande guerre éclate au nord de l’Europe au moment où la Succession d’Espagne embrase l’Europe occidentale et méridionale, et même une partie du monde. Pourtant, ces deux conflits restent indépendants l’un de l’autre, à la différence de ce qui s’est passé pendant la guerre de Trente ans. La diplomatie anglaise a beaucoup travaillé à éviter la contamination entre les deux zones pour empêcher les Bourbons de s’appuyer sur des puissances lointaines. La politique française fait l’objet d’une remarquable étude, fouillée, rigoureuse, passionnante, celle d’Éric Schnakenbourg, La France, le Nord et l’Europe au début du XVIIIe siècle, Paris, Champion, 2008, 629 p. Cet historien reprend l’étude des archives pour comprendre la tâche des diplomates français dans le Nord, les pratiques diplomatiques et les intérêts des différents pays. Il nous permet de suivre ainsi l’émergence de la nouvelle puissance régionale, la Russie.

Parallèlement à la succession d’Espagne, les puissances maritimes, Grande-Bretagne et Provinces-Unies, ont connu un événement important, le débarquement en Angleterre du prince Guillaume d’Orange qui renverse son beau-père Jacques II Stuart et monte sur le trône avec sa femme Marie II Stuart. Notons sur ce souverain essentiel pour la vie internationale de la fin du XVIIe siècle, un ouvrage collectif intitulé : Redefining William III. The impact of the king-stadholder in international context, sous la direction d’Esther Mijers et David Onnekink, Aldershot, 2007, 293 p.

Dans Le Grand exil. Les jacobites en France, 1688-1715 (2007), Service historique de la Défense, 2007, 702 p., Nathalie Genet-Rouffiac nous entraîne à la découverte des jacobites, ces fidèles du roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, Jacques II Stuart [ Jacobus en latin ], qui ont suivi leur souverain en exil en France. Ni tous les partisans de Jacques II, ni tous les catholiques ne quittent les îles Britanniques avec le roi en fuite, mais nombreux sont ceux qui décident de le suivre. Nathalie Genet-Rouffiac évoque, avec beaucoup de passion et de précision, ces vies confrontées aux drames de l’Histoire. Elle nous aide à comprendre ce que signifie l’exil pour ces femmes et ces hommes dont le destin bascule en 1688 et dans les années suivantes. Leur sort n’a longtemps suscité que sarcasmes, parce que les jacobites sont des vaincus de l’histoire. Loin de ces jugements de valeur, Nathalie Genet-Rouffiac rassemble une information, souvent de première main, sur les exilés installés en France. L’exil politique n’a pas la même résonance que l’émigration pour des raisons économiques, car les jacobites partent par désespoir, et non pour vivre mieux. La France ne leur offre que l’espoir d’une assistance pour un jour rentrer chez eux. Car ces exilés attendent une restauration de leur maître et y travaillent de toutes leurs forces. Souvent prêts à tout, ils soutiennent d’innombrables projets de débarquements sur les côtes des royaumes perdus ou de révoltes à l’intérieur. Le jacobitisme s’accorde à une forme d’action, militaire, diplomatique aussi, politique et religieuse toujours. Il s’impose également comme une dimension des guerres européennes, puisque Louis XIV soutient Jacques II, puis son fils qu’il reconnaît sous le nom de Jacques III. Il compte bien sur eux pour affaiblir l’Angleterre dans les conflits que la France engage contre elle. Cette volonté d’action paraît d’autant plus forte que, parmi les jacobites, nobles et soldats sont nombreux, désireux d’utiliser leurs compétences de combattants pour cette grande cause. Le sort des Stuart préoccupe aussi les cours européennes et les diplomates envisagent bien des solutions pour favoriser la réconciliation dans les îles Britanniques. Toutes achoppent au fil des ans, car les Stuart restent fidèles à leur foi.

Le jacobitisme ne reste pas une nébuleuse de conspirateurs ou d’exilés nostalgiques. Il s’appuie sur des institutions religieuses, à Paris en particulier, que décrit bien Nathalie Genet-Rouffiac, il mobilise des solidarités et tisse des réseaux à travers l’Europe. Même si les premières générations ont eu la sensation de connaître l’échec dans leurs entreprises, les jacobites ont su utiliser leurs épreuves comme une force afin d’entreprendre encore : à la fin, pour utiliser des métaphores communes, le déracinement devient fertile, la transplantation féconde. Nombre de jacobites s’illustrent partout en Europe comme généraux, négociateurs, hommes d’État, banquiers, commerçants. Au-delà des solidarités qu’ils entretiennent, les milieux jacobites élaborent peut-être une culture commune qu’inspire la nostalgie du pays natal, l’attente du retour des Stuart et la renaissance d’un monde perdu. Est-ce trop dire que l’on retrouve là les traits d’une diaspora ?

Nathalie Genet-Rouffiac nous fait comprendre le statut juridique de ces étrangers en France, invitant ainsi à se pencher sur la vision qu’un pays peut avoir sur des familles venues d’ailleurs, de royaumes pourtant tout proches. L’auteur propose aussi une excellente étude sociale du monde des jacobites. La rigueur de la méthode convient bien à ce groupe limité, mais finalement bien défini, que l’auteur cherche à décrire à l'aide de sources variées. Une solide approche quantitative permet de mesurer à sa juste dimension la présence jacobite, ainsi que de connaître l’origine géographique et sociale de ces exilés. Nous découvrons, grâce à ce livre, une étonnante géographie parisienne du jacobitisme. Portrait de groupe, cette étude sociale n’oublie jamais cependant de montrer des destins individuels pour révéler les souffrances et les espérances de ces familles déracinées.

Plusieurs autres ouvrages nous donnent des perspectives originales sur les relations internationales. L’Institut historique allemand de Paris a engagé la publication d’une série de livres consacrés à l’histoire franco-allemande, une Deusch-Französische Geschichte. Guido Braun est l’auteur du volume intitutlé Von der politischen zur kulturellen Hegemonie Frankreichs, 1648-1789 [De l’hégémonie politique à l’hégémonie culturelle de la France], WBG, Darmstadt, 2008, 288 p. Comme le titre le laisse prévoir, l’originalité de cette approche tient à l’association d’une étude des relations politiques et d’une analyse des relations économiques, culturelles et scientifiques, avec un chapitre consacré à l’usage des langues.

Renzo Sabbatini a étudié une figure de diplomate en la personne d’un envoyé de Lucques à Vienne au XVIIIe siècle, nommé Carlo Mansi (1682-1750), qui a laissé une autobiographie, publiée en fin d’ouvrage. Le livre s’intitule L’occhio dell ambasciatore. L’Europa delle guerre di successionne nell’autobiografia dell’inviato lucchese a Vienna [L’œil de l’ambassadeur. L’Europe des guerres de succession dans l’autobiographie d’un envoyé de Lucques à Vienne], Franco Angeli, Milan, 2006, 393 p. Cette étude et ce document exceptionnel donnent la vision, souvent perspicace, qu’un représentant d’une toute petite puissance comme Lucques veut livrer du jeu des grandes puissances.

Centré sur la diplomatie et ses pratiques, l’ouvrage de Sven Externbrinck, Friedrich der Große, Maria Theresia und das Alte Reich [Frédéric le Grand, Marie-Thérèse et l’ancien Empire] porte comme sous-titre Deutschlandbild und Diplomatie Frankreichs im Siebenjährigen Krieg [L’image de l’Allemagne et la diplomatie de la France dans la guerre de Sept ans], Akademie Verlag, Berlin, 2006, 418 p. Cet historien s’intéresse au processus de décision en matière diplomatique en se penchant sur le ministère des Affaires étrangères en France et sur le réseau des diplomates français, sur leurs moyens d’information, sur leur vision de l’Empire et des deux puissances qui s’affrontent, la Prusse et l’Autriche. Nous sommes bien placés au cœur de la diplomatie française dans un moment crucial et difficile et nous suivons les réflexions de plusieurs agents français (Blondel, Le Dran, Bussy, Du Buat).

L’action diplomatique ne peut être isolée du contexte idéologique du temps, en particulier dans ses expressions philosophiques ou juridiques. Nous disposons désormais de la traduction anglaise d’un texte peu connu en France, les Elementa iuris naturae et gentium de Johann Gottlieb Heineccius (1681-1741), publiés en 1738. Ce savant juriste, élève de Christian Thomasius, a été professeur à l’Université de Halle. Son traité en latin a été traduit et commenté par George Trumbull (1698-1748), une figure importante des Lumières en Écosse. Thomas Ahnert et Peter Schröder nous propose aujourd’hui cette traduction, publiée d’abord en 1741 : A Methodical System of Universal Law, with Supplements and a Discourse by George Trumbull, Liberty Fund, Indianapolis, 2008, 687 p. Le premier livre de l’ouvrage porte sur la loi naturelle, le second sur la loi des nations, avec un chapitre important sur la souveraineté, les droits de majesté et les devoirs des sujets.

La diplomatie n’est pas absente du magnifique livre de Jean-François Solnon, Le turban et la stambouline. L’Empire ottoman et l’Europe, XIVe-XXe siècle, affrontement et fascination réciproques, Paris, Perrin, 2009, 626 p. L’auteur décrit les relations entre deux mondes qui, même s’ils s’affrontent parfois (beaucoup moins qu’on ne l’a imaginé, comme l’a montré aussi Géraud Poumarède), nouent aussi d’importantes relations, en particulier diplomatiques. Jean-François Solnon consacre un chapitre à la présence européenne à Istanbul à travers l’étude des ambassadeurs et des drogmans, c’est-à-dire des interprètes. L’historien oppose la « superbe indifférence » de la Porte à l’égard de l’Europe à la « curiosité intéressée » de cette dernière pour le monde turc. Parmi les ambassadeurs de Louis XIV, nous voyons défiler Nointel, Guilleragues, Châteauneuf et Ferriol. C’est aussi pour disposer d’interprètes compétents que Colbert eut l’idée de former des « jeunes de langue ». Finalement, à partir de 1721, le collège Louis-le-Grand donne un enseignement de langues orientales à des jeunes gens qui, à vingt ans, partent à Istanbul pour continuer leur formation chez les capucins. La Révolution crée une École, qui est aujourd’hui l’INALCO. Mais Jean-François Solnon ne s’en tient pas au champ politique et étudie tous les transferts qui s’opèrent non sans mal d’un monde à l’autre. Un exemple significatif : Mary Wortley-Montagu, femme de l’épouse de l’ambassadeur d’Angleterre, annonce en 1717 l’observation qu’elle a faite de la pratique turque de l’inoculation pour la variole, un moyen de se défendre contre la maladie, qui aura beaucoup de mal à s’imposer en Europe occidentale. Ainsi, ambassadeurs et drogmans apparaissent comme de véritables « passeurs », pour reprendre le mot de Jean-François Solnon, entre les deux cultures. Dans le même esprit, notons la parution de Turcs et turqueries (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, PUPS, 2009, 222 p., un recueil d’études sur les regards croisés entre deux civilisations, l’Occident chrétien et l’empire du Turc. Par exemple, Gilles Veinstein y propose une définition de ce qu’est l’Europe ottomane à l’époque moderne.